Haize Hegoa

Y aura-t-il de la brise de mer aujourd’hui ?

Voici un petit article écrit pour les marins (dans le magazine Wind) avec les illustrations de Marion, qui pourrait intéresser tous les lafiténiens mais aussi les baiguristes, avec le rajout d’un petit paragraphe dédié au vol libre dans les terres. Est-ce que ca volera sur les plages? Est-ce que l’arrivée de la brise compliquera le cross? Les éléments sont ici!

par Vincent Chanderot

Quand les dépressions se font rares, quand le soleil n’en finit plus de briller, c’est sur lui que nous fondons nos derniers espoirs de navigation. Celui qu’on surnomme « le thermique » n’est pas réglé comme un coucou suisse : le régime de brise relève d’une science complexe et mieux la comprendre peut éviter de s’y casser les dents

Il y a deux écoles de ride : faire sa météo ou se contenter de regarder sur la webcam si ça navigue. Avouons-le, la deuxième voie est séduisante, couplée à des prévisions très performantes Cependant quelques connaissances restent indispensables pour la sécurité, pour valider le choix d’un spot, pour régater ou savoir de quoi on parle au bistro. La brise de mer cache quelques petits secrets qui la rendent un peu unique sur chaque spot.

Le vent des beaux après-midis d’été

On s’est tous déjà fait poser un lapin par ce vent thermique, alors qu’il faisait si beau et si chaud. Et pour cause, bien des conditions doivent être réunies pour le voir surgir, un grand soleil seul ne suffit pas.

Lignes de cumulus associés à la brise

Le régime de brise repose sur un réchauffement différentiel de l’air au-dessus de l’eau et de la terre. Le sol s’échauffe rapidement et permet la transmission de cette chaleur à la couche d’air qui la surplombe, tandis que le réchauffement de l’océan est nettement plus lent : il est à peine perceptible à l’échelle d’une demi-journée. Les immenses volumes d’eau absorbent cette énergie solaire qui est peu retransmise à la lame d’air. Puisqu’un gaz chauffé tend à s’élever, on observe des ascendances plus importantes sur la terre. Les niveaux de pression y montent : à altitude identique, la pression à la verticale du sol devient supérieure à celle au-dessus de l’océan et il se forme un premier courant en altitude, descendant le long des isobares inclinées vers le large.

Le vide généré par le mouvement vertical doit être comblé car la nature n’aime pas le vide. C’est tout naturellement l’air marin qui se trouve à côté qui s’en chargera, car il subit justement un apport par le dessus, donc une surpression. La subsidence au large dégage l’horizon de ses nuages. Voilà la brise de mer. Un flux horizontal provient aussi de l’intérieur des terres, où s’observe une boucle de brise secondaire. La confluence de masses d’air différentes, maritime et terrestre, au niveau du front de brise explique la formation, lorsque l’humidité est suffisante, de ces cumulus originaux à double base car l’air marin génère des plafonds nuageux plus bas que l’air sec continental.

Le soir venu, le gradient de température s’inverse : l’océan est toujours aussi chaud tandis que le continent se refroidit très rapidement. La brise de terre offshore peut s’établir.

Les incontournables pour une bonne brise

La condition sine qua non est une différence de température entre l’eau et la terre. 3 ou 4 degrés suffisent, voilà pourquoi la brise peut s’établir dès le printemps lorsque l’eau est fraîche et que les terres chauffent, mais moins à l’automne (l’eau est chaude mais les terres le sont de moins en moins). C’est la raison pour laquelle la brise peut souffler aussi en Antarctique, mais pas sur la banquise où il n’y a pas d’ascendances. Les côtes perpendiculaires aux courants de fond ou exposées à des vents offshore bénéficient d’un upwelling, une remontée d’eaux fraîches des profondeurs, accentuant les contrastes thermiques. Un bon coup de mistral promet souvent de bonnes brises dans les jours suivants. Plus ce gradient de température est important, plus les brises sont susceptibles d’être puissantes et de s’étirer loin au large et à l’intérieur des terres. La boucle de brise tropicale est en général plus puissante qu’en régions tempérées, plus longue (60 milles contre 10 ou 20) et plus haute (1000-1500m contre quelques centaines de mètres). Les spots de la mer rouge témoignent que des eaux très chaudes n’empêchent pas la mise en place de la brise, mais elles impliquent des continents plus chauds encore. En revanche, une mer subissant une canicule marine ne pourra pas développer de brise (lire WIND 410).

Après le mistral, eau froide et brise (Juliette Liso)

Instabilité et anticyclone

L’air doit absolument pouvoir monter en altitude pour amorcer la boucle de brise. Si le temps calme en bordure d’anticyclone ou derrière un front froid est idéal, des pressions trop élevées nuisent aux ascendances. La masse d’air doit être instable, c’est à dire que sa température doit diminuer avec une certaine progressivité en altitude de sorte qu’une bulle qui monterait depuis le sol se refroidirait en restant toujours plus chaude que l’air environnant (pour ceux que ça intéresse, l’air doit se refroidir plus vite que les adiabatiques sèches). Si la bulle rencontre une masse d’air qui se refroidit plus lentement, son ascension est alors freinée. Si la température augmente avec l’altitude, il s’agit d’une inversion, qui bloquera tout développement. Le développement vertical des nuages cumuliformes témoigne de cette instabilité. Le « front de brise » est caractérisé par le développent d’une ligne de petits cumulus parallèle à la côte ou sur les îles. Ce front ne reste pas à la côte, il pénètre parfois plusieurs dizaines de kilomètres à l’intérieur des terres pour balayer les basses couches de l’atmosphère. Une instabilité extrême peut permettre à la brise de s’établir en hiver ou sous un ciel totalement couvert : la seule lumière solairel à travers les nuages suffit alors à générer de la convection. Une instabilité forte en basse couche (200m) signe aussi la promesse d’une brise puissante. Ces informations se trouvent sur les émagrammes disponibles sur meteo-parapente.fr, meteociel.fr, velivole.fr…

La ligne rouge de cet émagramme évoque une belle instabilité en basse couche jusque 1000m

Vents synoptiques

La brise n’aime pas le vent synoptique (lié aux champs de pression) lorsqu’il est trop fort, il mitige les masses d’air et gène la formation de colonnes thermiques. Il doit être inférieur à 18 kts. Un synoptique léger et offshore est très favorable à la mise en place de la brise, car il soutient le courant de retour en altitude et est plus faible au sol. Son orientation est aussi capitale. Les frottements provoquent une rotation des vents de 20° à gauche sur l’eau et de 40° sur la terre, plus rugueuse. On observe par conséquent sur la bande côtière, une convergence ou une divergence des composantes marines et terrestres des vents, que les schémas (pour l’hémisphère N) rendent plus intelligibles qu’un long discours.

Un synoptique side-on venant de gauche s’accompagne d’une convergence des deux vents, qui sont donc contraints de s’élever. Cette ascendance sur l’eau s’oppose au cycle de la brise.

Un synoptique side-off sur la droite s’accompagne d’une divergence, donc d’une descente (une subsidence) dans le même sens que celle liée à la brise. C’est favorable à la brise.

On parle de quadrants de brise pour décrire ces cas (n°4 et 1).

Le vent météo conditionne non seulement l’apparition de la brise mais également son orientation.

En Aquitaine, par flux d’Ouest, la brise est modérée d’Ouest, par contre lorsque le flux synoptique souffle de l’Est, la brise s’oriente au Nord sur l’océan.

Eternel débat sur la marée

L’influence de la marée sur le vent ne fait consensus ni auprès des riders, ni dans la science. Les cas de vents fraîchissant avec le flot, quoique courants, ne sont pas assez universels pour former une règle générale. L’état de la marée est cependant un des paramètres à prendre en compte car il peut contribuer à la mise en place de la brise. L’apport d’eau fraîche du large vers la côte contribue à augmenter le gradient de température. Une BM vers midi favorise l’apparition de la brise dans l’après-midi, tandis que la PM du matin n’y contribuera pas.

brise brumeuse (Steph Barrio)

L’influence de la côte

Force et orientation de la brise n’évoluent pas de la même façon selon l’exposition de la façade maritime. Elle apparaît plus tard sur les côtes ouvertes sur l’ouest et le nord, plus tôt sur les côtes exposées à l’est. Selon la professeure de météo à l’ENVSN Claire de Nomazy, une « heure de maturité» peut expliquer une brise sideshore comme à Quiberon ou Hossegor: elle ne cesse jamais de tourner mais on ne la remarque que lorsqu’elle devient assez puissante pour permettre la navigation ou devenir gênante. Par ailleurs comme tous les vents, la brise voit son orientation conditionnée par des effets de site.

La pédologie et la géographie de la côte influent également sur le mécanisme. L’albédo du sol (selon qu’il est sombre ou clair) impacte directement sa capacité à générer des ascendances, car en tirant vers le blanc, il réfléchit l’énergie et chauffe moins. Une côte basse et plate favorise la brise et sa pénétration, tandis que des hautes falaises ou un arrière-pays montagneux (donc plus frais) comme en Corse et Côte d’Azur nuisent à cette circulation. Parce qu’il fait théoriquement plus frais plus haut, donc le ∆ T° est moins favorable, mais aussi parce que les reliefs, tout comme la végétation, ralentissent la progression du front de brise.

Le front de brise arrive bientôt… dommage (Jacques PS)

Une journée dans la brise

Le temps s’éclaircit au large, l’horizon devient net grâce à la subsidence, c’est le signe que la brise arrive derrière la mollle. Attention, en ch’Nord, la brise peut arriver derrière un banc de brume quand l’air est chaud et humide ! Le vent du matin à la côte forcit en tournant un peu à droite. C’est ce que fera ensuite la brise toute la journée. Sur les côtes exposées au sud, on dit qu’elle tourne avec le soleil. Lorsque l’horizon redevient brumeux, on sait qu’elle s’apprête à tirer sa révérence, stoppée par l’équilibration des températures ou par les orages. Son alter-ego nocturne la brise de terre, prépare peut-être son arrivée. Vous ne devriez déjà plus être sur l’eau, car après la molle, elle souffle offshore et moins fort, vous auriez du mal à rentrer sous-toilé dans le noir… Observez dès le matin le développement des cumulus sur les îles ou sur le littoral. S’ils montent haut, c’est bon signe. Parfois ces brises nous accompagnent sans qu’on les détecte. Ainsi le mistral modéré (20kt) forcit à la mi-journée à la faveur de la brise qui vient lui prêter main forte avant de mollir en fin d’après-midi. Une brise peut aussi annuler un vent météo. Dans les zones à alizés, les brises fonctionnent bien sous-le-vent des îles comme la Réunion, les Canaries. Par contre la sensation que l’alizé s’arrête la nuit n’est pas due à la brise de terre qui s’y opposerait, mais à une chape d’air froid qui met l’île sous cloche et dévie l’alizé en altitude ou au large.

En vol dans la brise de mer

Le soaring de bord de mer est excellent par régime de brise. Ce vent est peu rafaleux et plutôt associé à du beau temps. Un nuage peut toutefois se former dans les zones de vol adossées à des sections élevées comme à Orio.

La brise de mer est en revanche défavorable au vol thermique. Le front progresse vers l’arrière-pays (les basses pressions) en soulevant l’air continental, il décolle toutes les bulles thermiques, ce qui contribue avec la confluence à la ligne d’ascendances située juste derrière le front. Elle est exploitable pour une dérive downwind sur des kilomètres avant que la brise ne s’essoufle. Attention toutefois, car en cas de forte instabilité, le front peut devenir orageux.

En amont du front, l’air maritime frais, humide et brumeux ne génère plus que de rares ascendances. Un vol dirigé vers la mer sera globalement descendant et plus ou moins contré, selon l’altitude. Le vent relativement laminaire en basse couche peut soit disparaître au-dessus de la brise, soit devenir très turbulent. La friction des masses d’air continentales et maritimes de densités différentes peut générer, en particulier par vent météo onshore, la formation de tourbillons de « Kelvin-Helmholtz » (Plant et al. 2006). Ces ondulations peuvent s’observer à de rares occasions sous la forme de nuages déferlants, on peut prendre alors la mesure de cette turbulence. Ces ondulations ne s’observent généralement pas avec des vents synoptiques offshore et sidehore.

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Ondulations de Kelvin-Helmholtz

Voler en basse couche en amont du front de brise implique de poser dans un vent potentiellement soutenu. Rappelons que le front se reconnaît par un renforcement et une bascule soudains du vent. La ligne de cumulus peut prévenir de son arrivée mais elle n’est pas systématique dans un air trop sec. Le renforcement du vent se produit au niveau du sol avant de s’élever progressivement sur quelques centaines de mètres. On peut l’observer avec les indices habituels à terre, mais aussi par le troublement de l’air à l’horizon et en consultant les balises.

 Le test de l’été : Comment sera la brise ? (côte Atlantique et Manche, par JY Bernot)

T° Air > T° Mer Oui Brise possible
  Non Brise impossible
Vent Synoptique > 18 kts Oui Brise impossible
  Non Brise possible
Direction du vent Quadrant 1(Side-off droite) +2
  Quadrant 2 (Side-off gauche) +1
  Quadrant 3 (Side-on droite) 0
  Quadrant 4 (Side-on gauche) -1
Masse d’air Stable -1
  Instable +2
Température de l’air Chaud -1
  Tiède   0
  Frais +1
Ensoleillement Bon ou quelques cumulus +1
  Moyen 0
  Mauvais -1
Marée haute l’après-midi Oui 0
  Non -1
Cisaillement masse d’air Oui -1
  Non +1

Résultats :

TotalO ou moins1234567
Vmax briseimprobable6kt9kt12kt16kt18kt20kt25kt

Vincent Chanderot